18 septembre 2006

Note d'intention

« De la Meuse à la Guerre : Apollinaire et la mémoire poétique »

Meusien d’origine, j’ai grandi avec les fantômes de la guerre, les histoires racontées par la famille, les expressions utilisées dans le langage de tous les jours ; les visites sur les champs de bataille font partie de mon histoire. Ma grand-mère se prénommait Joffrette, en hommage au Maréchal Joffre, et mon père faisait souvent référence au Chemin des Dames quand il abordait la guerre. Mais comme dans beaucoup de familles, on n’en parlait que superficiellement, à travers quelques anecdotes, sans trop s’attarder sur le sujet.
Avec la disparition des derniers poilus, cette guerre rentre complètement dans l’histoire. Laissée de côté pendant longtemps, cachée par celle de 39-45 à quelques exceptions près, la première guerre n’a intéressé les cinéastes et les metteurs en scène que depuis les dix dernières années. On ne dénombre en effet qu’une quarantaine de films sur la première guerre contre plusieurs centaines sur la deuxième.
L’idée de faire un spectacle sur la grande guerre a toujours été présente mais je n’avais jusque là pas trouvé la porte d’entrée pour démarrer un tel projet.

« L’histoire narrative est inexacte par essence, mais elle est encore avec la poésie la plus fidèle image que l’homme ait de lui-même. » disait Anatole France. J’ai orienté mes recherches sur la poésie du début du siècle et j’ai découvert « Calligrammes », un recueil de poèmes sur la guerre écrit au front par Apollinaire. Guillaume Apollinaire réussit à travers ses poèmes à montrer tous les paradoxes et toute la complexité de la guerre tout en cherchant à nous émerveiller. Ses métaphores, son langage surréaliste comme il le qualifie, nous donne une autre vision de cette guerre. Il a un rapport permanent à la beauté et à l’amour, il réussit, alors qu’il est au front, à prendre du recul sur ce qu’il vit avec son écriture. Apollinaire cherche d’autres formes moins linéaires pour écrire ses poèmes. Avec « Calligrammes », il propose une double lecture, celle du texte et celle du calligramme. Il me paraissait évident de mélanger la vidéo, la danse, la musique et le théâtre pour trouver une alchimie transdisciplinaire qui puisse emmener le spectateur dans l’univers complexe de « Calligrammes ». C’est aussi le regard intime d’un homme extrêmement amoureux des femmes et de la vie, qui cherche l’évasion du quotidien des tranchées. Sa créativité devient son armure face à l’horreur car « Il faut que je reçoive ô mon Lou la mesure de ton doigt, car je veux te sculpter une bague très pure dans un métal d’effroi. » (Guillaume Apollinaire).

« Où est l’humanité ? »

Depuis le début, la compagnie s’attache au spectacle déambulatoire avec une dramaturgie. Avec l’expérience, c’est une forme aléatoire qui souffre des différents contextes qu’elle rencontre, mais qui prend tout son sens quand le passé, l’architecture, ou l’urbanisation d’une ville entre en résonance avec le spectacle.
Le spectacle déambulatoire est un risque mais il est, de part sa difficulté, encore peu développé. Cela fait huit ans que la compagnie travaille sur un territoire rural où la culture reste un élément sporadique. Basée dans un village de 260 habitants, la compagnie a vu évoluer la population face à son action artistique, nous avons souvent choisi volontairement de créer des spectacles déambulatoires qui permettent à un large public de s’y intéresser, cherchant à marier le sensible et le compréhensible, ainsi qu’un certain esthétisme au propos.

La forme d’un spectacle déambulatoire me paraît plus propice au projet, la guerre est un mouvement perpétuel accompagné de longues attentes, d’où le choix de scènes fixes et d’autres en mouvement. De plus, dans presque toutes les communes, la mémoire de la première guerre transparaît par son monument aux morts, cette structure immobile, froide, grise. Or, la mémoire c’est aussi un mouvement perpétuel entre notre imaginaire, des faits, notre vécu, c’est une notion profondément vivante. La déambulation, c’est replacer la mémoire dans le mouvement, la remettre en marche.

La mise en scène

C’est donc cinq scènes qui traversent de façon chronologique cette guerre, en commençant par le jour de la mobilisation jusqu'à l’armistice, deux scènes déambulatoires s’intercalant entre trois scènes fixes. Chacune met en lumière un poème choisi de « Calligrammes ». Le zeppelin symbolise le voyage à travers le temps et l’histoire.

La première scène démarre devant le monument aux morts, c’est une porte de la ville vers notre histoire. Cette scène traite de la commémoration et je questionne son protocole. Quelle mémoire collective entretient-elle? Où nous emmène-t-elle ?
Loin de la mobilisation à la guerre de position, objet de la première déambulation. Ce moment où, en quelques semaines, le soldat, la fleur au fusil, se transforme en rat de tranchée.

La deuxième montre l’apogée de l’artillerie, son économie florissante et ses conséquences dramatiques. Entre ces flashs, la temporalité s’installe par des projections d’images d’archives qui s’animent et animent la mémoire.
Ces images sont le point de départ des tableaux visuels donnés par les artistes évoluant sur le zeppelin. La poésie vient de l’alchimie entre la danse, la musique et la gestuelle des comédiens.

La scène centrale nous ramène à l’échelle individuelle, plus réaliste, elle met l’accent sur le regard intime des soldats sur le front, leurs réactions face aux situations extrêmes, leurs désirs, leurs envies et leurs fantasmes.

A travers le questionnement d’Apollinaire sur cette guerre, la scène finale interroge le spectateur sur les bouleversements de ce premier conflit mondial, ce XXéme siècle qui prend son envole.

Michaël Monnin